La prise d’acte de rupture du contrat de travail

La prise d’acte de rupture du contrat de travail

Quels sont les critères de la prise d’acte ?

Même si dans les deux cas le salarié en est à l’initiative, la prise d’acte se distingue de la résiliation judiciaire. Sa formalisation n’est pas encadrée pas la loi, mais la jurisprudence en a précisé les contours. La prise d’acte peut même résulter d’une démission équivoque ou d’un départ en retraite. Mais quels sont les types de manquement qui autorisent la prise d’acte ? 

Résiliation judiciaire et prise d’acte

Traditionnellement pour rompre un contrat de travail l’employeur peut licencier, le salarié peut démissionner et les parties peuvent depuis 2008 s’accorder pour signer une rupture conventionnelle.

A coté de ces modes de rupture la Cour de cassation admet qu’en vertu de l’article 1184 du code civil seul le salarié puisse saisir le juge pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail (Cass, soc. 20 janvier 1998, P n° 95-43.350). Pendant la durée de la procédure, le salarié demeure dans les effectifs de l’employeur et si le Conseil de Prud’hommes estime que les manquements reprochés ne sont pas suffisamment graves ou établis, le contrat se poursuit. Si les manquements sont graves et établis, la résiliation judiciaire produira les effets d’un licenciement aux torts de l’employeur. 

Les avantages et inconvénients de la résiliation judiciaire résident tout à la fois dans l’absence de risque pris par le salarié pour le cas où le juge estimerait que les manquements ne sont pas suffisamment graves puisque si le salarié est débouté le contrat se poursuit. Cependant, si les manquements sont graves et justifient la rupture aux torts de l’employeur, le salarié peut être contraint de devoir attendre de longs mois ou d’années avant qu’une juridiction ne se prononce pour rompre le contrat aux torts de l’employeur.

C’est pourquoi en marge de la résiliation judiciaire et de la démission, la jurisprudence a créé la prise d’acte ou « auto-licenciement ». Ce mécanisme permet au salarié de rompre unilatéralement le contrat de travail en raison de fautes ou manquements suffisamment graves que le salarié reproche à son employeur.

La différence avec la résiliation judiciaire est cependant de taille puisque le contrat est immédiatement rompu aux termes d’un acte unilatéral du salarié.

Qu’est-ce qu’une prise d’acte et qui en est l’auteur ?

Aucun formalisme particulier n’est prévu mais le plus souvent un courrier de rupture du contrat de travail remis ou adressé par le salarié à son employeur suffira. 

Ainsi un simple courrier aux termes duquel le salarié aura indiqué les griefs invoqués de manière sommaire qu’il prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits fautifs de son employeur suffira à revêtir la qualification de prise d’acte.

La Cour de cassation précise que l’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. 

Le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit (Cass soc., 29 juin 2005 P 03-42.804, Cass soc 12 juillet 2006 n°04- 47.714). 

La jurisprudence admet également que la prise d’acte soit établie par le conseil du salarié (Cass soc., 4 avril P. 05-42847) sous réserve qu’elle soit adressée directement à l’employeur (Cass soc., 16 mai 2012 P. 10-15.238). 

Par conseil, la Cour de cassation vise tout aussi bien un avocat qu’un défenseur syndical. Il convient donc impérativement de veiller à s’accorder avec son conseil quel qu’il soit car il n’y a pas de retour en arrière possible lorsque la prise d’acte au nom du salarié est adressée à l’employeur.

La démission et départ en retraite équivoque peut-ils être requalifiés en prise d’acte ? 

Une démission équivoque peut être qualifiée de prise d’acte. La Cour de cassation relève de manière constante que : « lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, que celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission » (Cass. soc., 9 mai 2007, P. 05-41.324). 

Le départ volontaire en retraite équivoque peut-être également requalifié en prise d’acte. Comme la démission, si le départ volontaire en retraite a été réalisé en raison de fautes ou de manquements de l’employeur il est équivoque. Les griefs suffisamment graves empêcheront alors la poursuite du contrat de travail et permettront au juge de les requalifier en licenciement abusif. A défaut, la rupture conservera sa qualification de « départ volontaire en retraite » (Cass 20 octobre 2015 P. 14-17.473).   

Des manquements suffisamment graves et récents pour empêcher la poursuite du contrat de travail ?

Si l’appréciation de la gravité du manquement relève des juges du fond, la Cour de cassation a précisé que les manquements de l’employeur qui fondent la prise d’acte doivent, depuis mars 2014 revêtir un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle, ce qui remettrait en cause le cas de manquements anciens. 

De nombreuses jurisprudences permettent d’apprécier la notion de « manquement grave » en cas de harcèlement moral ou sexuel, de discrimination, de faits de violence, de manquements aux règles de sécurité, de modification du contrat sans l’accord du salarié, de retards répétés de paiement du salaire.

D’autres exemples non exhaustifs, justifient la prise d’acte :

  • le manquement de l’employeur à l’obligation de loyauté́ inhérente au contrat de travail en ne mettant pas le salarié en mesure d’exercer correctement et pleinement ses fonctions (Cass. Soc 6 nov. 2013 n 12-19.941).
  • un défaut de paiement de la rémunération du salarié (Cass. soc 15 septembre 2015 P. 14-10.416). 
  • le défaut de fourniture de travail (Cass.soc. 3 novembre 2010, n° 09-65254 ; Cass. soc., 7 mars 2012, n° 10-12.727 ; Cass. soc., 12 sept. 2012, n° 11-17.579) même si ce manquement ne s’est déroulé que sur une courte période (une semaine en l’espèce : Cass. soc., 9 juin 2015, no 13-26.834) justifie la prise d’acte de la rupture du contrat de travail.

A contrario, la Cour de cassation a pu retenir l’absence de gravité au défaut de visites médicales en validant l’appréciation des juges du fond ayant requalifié la prise d’acte en une démission (Cass. soc. 20 octobre 2016, P. 15-17375).

S’agissant de l’ancienneté du manquement, dans cet arrêt du 15 septembre 2015 (Cass. soc. 15 septembre 2015 P. 14-10.416), la Cour de cassation a ainsi jugé, pour un salarié ayant pris acte en 2012 en raison du non-paiement de primes dues au titre de l’année 2010, qu’il s’agissait d’un manquement suffisamment grave ayant empêché́ la poursuite du contrat de travail, eu égard à l’importante partie de rémunération concernée. 

La Cour de cassation n’avait pas considèré le manquement comme étant « ancien », alors que précisément, le délai entre le manquement de l’employeur (2010) et la prise d’acte du salarié (2012) était de 2 années.

A contrario, la Cour de cassation a estimé́ qu’une modification unilatérale du contrat de travail constituait un manquement « ancien » lorsqu’elle avait perduré durant 20 années (Cass. soc., 13 avril 2016 P 15-13.447).

Cela étant et selon les circonstances, les juges peuvent admettre que des manquements de l’employeur puissent apparaitre suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, nonobstant leur ancienneté́ (Cass soc 11 décembre 2015 n°14-15.670) :

Mais attendu qu’ayant constaté qu’à la suite d’un accident du travail le salarié avait été en arrêt de travail jusqu’à la prise d’acte, la cour d’appel a pu en déduire que les faits dénoncés par celui-ci, constitutifs d’un harcèlement moral, caractérisaient des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, nonobstant leur ancienneté ; que le moyen n’est pas fondé ;

Un défaut de paiement des heures supplémentaires sur cinq ans pourra être considéré comme ne justifiant pas une prise d’acte s’il est considéré que le salarié a tardé à agir (Cass. soc. 14 novembre 2018 P.n° 17-18. 890).

Les effets de la prise d’acte 

Le salarié qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail demandera au juge que celle-ci produise les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse ou nul selon l’origine du manquement. L’employeur demandera qu’elle produise les effets d’une démission. 

Une saisine du conseil de prud’hommes accélérée

A la différence de la résiliation judiciaire, depuis 2014, le salarié qui saisit le Conseil de Prud’hommes d’une demande de requalification de sa prise d’acte en licenciement bénéficie d’un régime accéléré. L’affaire est portée directement devant le bureau de jugement qui est censé statuer au fond dans le mois de sa saisine sans conciliation (article L 1451-1 du code du travail). 

Licenciement nul, abusif ou démission  

Comme pour la résiliation judiciaire, le rôle du juge est prépondérant car de son appréciation dépendra la qualification de cette rupture en une démission si les manquements dénoncés par le salarié ne sont pas établis ou en un licenciement si au contraire les manquements de l’employeurs étaient suffisamment graves pour avoir provoqués la rupture contrat à l’initiative du salarié. 

La Cour de cassation rappelle que « lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient… » (Cass. soc., 25 juin 2003 P. 01-42.335).

Mais lorsque le manquement à l’origine de la prise d’acte est une cause de nullité de licenciement la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul (harcèlement, discrimination, violation de statut protecteur accident du travail ou salarié protégé …)   

Si la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse, le salarié pourra prétendre, en plus de son solde de tout compte à une indemnité fondée sur le barème de l’article L 1235-3 du code du travail encadrée dans le cadre d’un plancher à partir d’un an d’ancienneté et d’un plafond. Dans ce cas l’employeur verse au salarié son indemnité de licenciement. 

Si la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul, le salarié peut prétendre à l’indemnité de licenciement et aux règles mentionnées à l’article L 1235-3-2 du Code du travail. A ce titre, en cas de nullité du licenciement le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois.

Les salariés protégé peuvent prétendre en sus à une indemnité pour violation du statut protecteur dans la limite de 30 mois de salaire.  

Mais le salarié qui a pris acte de la rupture peut-il demander sa réintégration ? 

La Cour de cassation a jusqu’à présent considéré qu’un salarié qui a pris acte ne peut obtenir sa réintégration après avoir lui-même mis fin au contrat de travail (Cass. soc. 29 mai-2013 P n° 12-15.974). 

Si le manquement n’est pas établi ou jugé insuffisamment grave le juge qualifiera la prise d’acte de démission.

Le préavis et les documents sociaux

La prise d’acte rompant immédiatement le contrat de travail, le salarié n’est pas tenu d’exécuter un préavis. Cependant, il peut spontanément l’accomplir, ou offrir de l’accomplir, sans que cela ait une incidence sur l’appréciation de la gravité des manquements invoqués à l’appui de sa prise d’acte (Cass. soc. 2 juin 2010, n° 09-40215 ; Cass. soc. 9 juillet 2014 n° 13-15832).

Lorsque la prise d’acte est qualifiée de licenciement, si le salarié n’a pas effectué de préavis du fait de l’employeur il pourra en revendiquer le paiement.

Lorsque la prise d’acte est qualifiée de démission et que le salarié n’a pas proposé d’effectuer un préavis, l’employeur pourra former une demande reconventionnelle en paiement d’un préavis.

Dans tous les cas, et même si la prise d’acte qualifiée de démission n’autorise pas le salarié à être indemnisé par l’assurance chômage, l’employeur est tenu, à la fin du contrat de délivrer au salarié un solde de tout compte, un certificat de travail et une attestation pôle emploi (Cass. soc. 15 mars 2017 P. n°15-21232). 

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